Londres, 21 octobre 2014
Merci beaucoup de m’avoir invité à vous rejoindre aujourd’hui. Je suis heureux d’être de retour au sein d’une institution qui encourage ces conversations importantes.
L’année prochaine, le système international moderne, qui a commencé avec la fondation de l’Organisation des Nations Unies en 1945, fêtera ses 70 ans.
Trois générations après la terriblement destructrice Seconde Guerre Mondiale, nous vivons aujourd’hui dans un monde transformé pour le mieux. Le rythme du développement économique et humain n’a jamais été aussi rapide, ni touché une si grande part de la population mondiale.
Certains des gains les plus rapides sont enregistrés en Afrique de l’Est, à laquelle appartient le Rwanda. Dans la région, c’est avec des mesures concrètes que nous œuvrons à l’approfondissement de notre marché commun et à la construction des infrastructures nécessaires pour soutenir la concurrence mondiale.
Cette progression se fait, grâce à une gouvernance responsable et aux marchés libres qui permettent de plus en plus que les avantages de la science et de la technologie atteignent presque tout le monde sur le globe.
La coopération et les partenariats facilités par les institutions internationales ont contribué grandement à ces tendances. Il y a, en bref, beaucoup de raisons d’être optimistes.
Pourquoi, dès lors, le monde semble-t-il être hors de contrôle?
Les titres ont, en effet, été très sombres ces derniers temps. Mais l’accumulation de mauvaises nouvelles, en soi, ne suffit pas à expliquer l’angoisse.
Le monde a toujours été turbulent et dangereux, et même beaucoup plus qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais il y avait alors le sentiment que des structures étaient en place pour relever les défis mondiaux, même de manière imparfaite. Cette confiance a été ébranlée.
Par exemple, nous avons vu des États sombrer dans la violence, même si leur succès était une priorité stratégique pour les membres puissants de la communauté internationale, comme en témoignent les dizaines de milliards de dollars dépensés pour les construire.
Nous avons vu que la paix, même au cœur de l’Europe, ne peut plus être prise pour acquis. Si tel est le cas, alors quelles autres hypothèses fondamentales de l’ordre international peuvent-elles être également mises en cause?
Nous avons vu que l’élimination de terroristes isolés, ou le démantèlement d’organisations terroristes, ne signifie pas pour autant la fin des idéologies terroristes.
Au contraire, le terrorisme s’est développé de manière plus décentralisée, brutale et transnationale, avec une capacité croissante à conquérir les cœurs et les esprits des jeunes, même dans les pays les plus développés.
Même si il subsiste parfois certaines réticences à étiqueter les terroristes en tant que tels, ce qui entrave une action coordonnée.
Et maintenant, nous voyons la panique causée par le virus Ebola. Pendant des mois, il a été supposé que l’épidémie resterait un problème local, comme cela a toujours été le cas dans le passé. Aujourd’hui, c’est une menace mondiale, et il y a toujours un manque de clarté quant à la façon dont elle sera mise sous contrôle.
Au vu de tout cela, il n’est pas étonnant que certains commentateurs soient allés jusqu’à se demander si l’ordre mondial était en train de se défaire.
Je ne partage pas ce pessimisme.
Les turbulences d’aujourd’hui ne sont pas vraiment nouvelles, du moins pas pour ceux d’entre nous, qui sommes encore parfois considérés comme étant à “la périphérie”. Et l’action internationale a toujours été meilleure à contenir des problèmes, qu’à les résoudre.
La baisse des coûts de transport et de communication signifient que le confinement n’est plus une option. Un problème peut survenir dans un petit endroit et rapidement affecter le monde entier.
Mais des solutions peuvent également être trouvées dans de tels endroits, et de là, bénéficier aux autres.
Afin de clarifier mon propos, permettez-moi de dire quelques mots au sujet de comment le Rwanda a abordé le défi de la reconstruction après le génocide de 1994. Non seulement au niveau économique, mais surtout et de manière plus fondamentale, socialement et politiquement.
Le Rwanda est toujours mis en évidence, du fait que notre tragique histoire est étroitement liée à la réputation du système international lui-même.
Les Rwandais ne sont pas les seuls à sentir qu’ils ont un intérêt dans la façon dont notre histoire est racontée. Parfois, il en résulte un jeu de blâme sans fin au sujet du passé.
Mais de plus en plus, nous avons constaté qu’il y a aussi un aspect positif à cet examen approfondi. En effet, il contribue à faire connaître l’histoire du redressement du Rwanda à une plus large échelle, et suscite la curiosité sur la façon dont nous nous y sommes pris pour résoudre nos problèmes.
Rappelons où cela a commencé : deux ans après le génocide, plus de deux millions de Rwandais – comptant parmi eux de nombreux génocidaires – sont rentrés chez eux, dans une nation profondément fracturée. Vivant côte à côte avec ceux qui ont survécu, l’urgence de la réconciliation nationale et de la justice était claire.
Un million de personnes se sont sorties de la pauvreté dans une période de cinq ans et nous accueillons maintenant plus d’un million de visiteurs par an dans notre pays. Nous offrons l’assurance maladie universelle, et avons enregistré le déclin le plus rapide de notre histoire de la mortalité infantile et maternelle. Le Rwanda est aussi le cinquième plus gros contributeur au maintien de la paix internationale.
Mais il est trompeur de mettre en évidence ces réalisations hors contexte. D’une part, nous avons encore un long chemin à parcourir par rapport aux objectifs que nous nous sommes fixés. D’autre part, le plus gros problème est que ces statistiques ne relayent pas la partie la plus importante de l’histoire.
Le développement économique et social du Rwanda est construit sur le développement politique et sur les institutions fortes. Nous avons souligné l’importance de la recherche du consensus, de l’unité nationale et des institutions publiques responsables.
Une forte capacité de mobilisation populaire à tous les niveaux de la société était également essentielle, tandis que nous travaillions à la transformation des mentalités.
Tout le monde compte. Chaque citoyen doit être convaincu de la direction pour le changement et chacun doit avoir la possibilité d’offrir sa contribution au processus.
À la fin des années 1990, une série de réunions ont été organisées tous les samedis à la Présidence. Les participants, incluaient tous les partis politiques – y compris ceux qui avaient eu un rôle dans le génocide – mais aussi des dirigeants du monde des affaires, le milieu universitaire, la société civile et la profession juridique.
La tâche était d’élaborer un consensus sur les véritables causes historiques de la tragédie du Rwanda, et de là, déterminer comment aller de l’avant.
C’est là que certaines des décisions les plus importantes qui ont façonné le pays ont été prises, après un débat approfondi et respectueux qui a duré plus d’un an.
Le lendemain de chaque session, quelques participants passaient à la radio publique pour amener la discussion auprès de la population. Cela a permis aux Rwandais de voir qu’il y avait un sérieux effort en cours pour résoudre nos problèmes et a encouragé le débat public sur des questions qui les concernent directement.
Le système Gacaca que nous avons établi pour juger les cas de génocide a pu entendre deux millions de témoignages en plus de dix ans. Mais avant que nous arrivions au point de mettre le système en œuvre de façon effective, l’idée a été longuement débattue dans différents contextes, par un large éventail de Rwandais, en commençant par ces pourparlers officiels en 1998 et 1999. Entre-temps, cet effort a été contesté par des étrangers, qui pourtant n’offraient aucune solution alternative.
En même temps, dans le cadre de ces discussions, la nécessité de rétablir la confiance dans les institutions publiques et les fonctionnaires, est devenue plus claire que jamais. Depuis lors, la lutte contre la corruption et l’abus de pouvoir a été ferme et cohérente, à tel point que parfois, elle en est devenue une source de friction.
Des institutions politiques bien organisées sont une partie importante de la construction de la nation. Le FPR et ses partenaires de coalition sont venus à la table avec un programme d’actions bien développé, dérivé des idéaux progressistes. Mais le résultat de ces dialogues reflétait un large consensus national, pas seulement le nôtre.
On dit parfois que les réalisations économiques et sociales du Rwanda sont en quelque sorte compensées par un manque de démocratie et de voix populaire. La vérité, c’est que c’est exactement le contraire. Ce qui est communément perçu comme étant la plus grande faiblesse du Rwanda, est en fait sa plus grande force.
Nous ne serions arrivés nulle part sans de solides mécanismes qui ont permis des changements majeurs, fondés sur la participation populaire.
Une politique inclusive et une gouvernance responsable sont les raisons pour lesquelles le Rwanda est aujourd’hui non seulement sûr, mais stable. Ils expliquent pourquoi le financement externe des établissements publics du Rwanda donne des résultats de développement mesurables, année après année.
Ils expliquent pourquoi, lors d’enquêtes indépendantes, les Rwandais expriment des niveaux élevés de confiance et de satisfaction dans la qualité de la gouvernance.
Et pourquoi, élément crucial dans une société aussi divisée que l’était la nôtre, les Rwandais ont de plus en plus confiance les uns envers les autres.
En 2007, un sondage Gallup a révélé que 36% des Rwandais pensaient qu’un étranger était susceptible de rendre un portefeuille perdu à son propriétaire. Et 88% qu’un voisin ou un agent de police le ferait. Ces chiffres sont quelques-uns des taux les plus élevés dans cette enquête.
Le succès de l’Euro-obligation lancée par le Rwanda à Londres l’année dernière a prouvé que la confiance que les Rwandais expriment, est également partagée sur les marchés financiers. C’est un élément clé de notre croissance économique et de notre stratégie d’investissement.
Alors que les Rwandais voyagent et se connectent au monde à travers les TIC, la curiosité du monde entier sur le Rwanda, rencontre celle des Rwandais sur le monde. Et nous constatons que l’histoire de notre pays signifie quelque chose de positif pour les gens, au-delà du Rwanda. Nous ne sommes plus uniquement le « pays du génocide »; peut-être avons-nous, même, quelque chose à offrir aux autres, en tant que nation.
Il n’y a pas de raccourcis. La construction de la nation, par définition, ne peut pas être dirigée par l’extérieur. Les solutions que les Rwandais ont élaborées à travers les délibérations, ne peuvent être simplement transposées ailleurs. Il en est de même pour les solutions que d’autres pays, riches et pauvres, grands et petits, ont utilisées pour atteindre le succès de leurs nations, à divers moments de leur histoire.
Mais sans une plus grande compréhension de la base politique et institutionnelle nécessaires à la résolution des problèmes de cohésion sociale et de confiance du public, nous, c’est-à-dire chacun de nous, continuerons à lutter pour trouver notre chemin à travers cette période d’incertitude mondiale.
L’histoire du Rwanda nous a appris à quel point les bases de l’épanouissement humain peuvent être fragiles. En tant que petit pays, dans une région turbulente, qui fait aussi partie intégrante d’un monde en rapide mutation, notre intérêt national réside dans le fait de contribuer de notre mieux, au côté des autres.
Merci.